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Notions et Techniques

La couleur (#3) : focus sur les symboliques

Cet article sur la couleur fait suite aux deux articles précédents, qui évoquaient la linguistique de la couleur et l’histoire des pigments.

Depuis l’Antiquité, les couleurs ne peuvent que difficilement être détachées de la symbolique qu’elles renferment. Bien sûr, les évocations qu’on leur prête ont évolué fortement au fil des siècles (on y reviendra plus bas). La perception des couleurs varie donc selon les périodes mais également selon les cultures, ce qui est particulièrement intéressant.

La symbolique des couleurs a son importance dans différents domaines, notamment en marketing (j’y reviendrai en dernière partie d’article).  

Évolution des significations de 6 couleurs à travers le temps

Le bleu

Si l’on remonte à l’Antiquité, avoir les yeux bleus est signe de mauvaise vertu. Cette perception négative est surprenante lorsque l’on sait que de nos jours en Occident, il s’agit de la couleur préférée de la majorité de la population. Le bleu est donc passée de couleur conspuée à couleur vénérée, mais comment ? Les Grecs et les Romains considéraient cette couleur comme celle des barbares. Il faut savoir que c’est l’imprécision du vocabulaire latin pour décrire le bleu qui nous a conduit à puiser dans les langues germaniques et arabes. En Égypte, c’est au contraire une couleur porte-bonheur (symbole d’immortalité), comme en témoignent les nombreuses amulettes créées à partir de lapis-lazuli qui ont été retrouvées.

La relation compliquée des latins avec le bleu conduit à son éviction du culte catholique durant le Moyen-Âge. Petit à petit cependant, les perceptions évoluent : le ciel des tableaux et fresques est de nouveau peint en bleu, et cette couleur finit même par être attribuée à la Vierge. Cette dernière utilisation permet au bleu de devenir la couleur absolue de la noblesse : les rois puis les seigneurs s’en vêtissent. La demande pour le guède et le pastel explose donc, enrichissant de nombreux marchands occitans et toscans. Le règne du pastel prend fin lorsque l’indigo, produit moins cher sur le sol américain, vient le concurrencer, avec l’avantage d’être le seul pigment à pénétrer des fibres à froid. L’essor du blue jean et du bleu de travail propulse le bleu comme couleur phare.

Depuis, l’attrait pour le bleu ne s’est pas démenti : c’est une couleur reconnue pour être relaxante, et inspirer confiance et stabilité (c’est d’ailleurs la couleur du drapeau de l’Europe et de l’ONU).

Le jaune

A l’Antiquité, le jaune prédomine dans les peintures, fresques et mosaïques. Cette couleur a ensuite été largement connotée négativement à travers le Christianisme (symbole de l’infamie et de la traîtrise de Judas, qui portait un vêtement jaune). Les impressionnistes la réhabilitent en la rendant éclatante sur leurs toiles (soleil, été, blés…) mais l’ostracisme (étoile jaune) lui redonne une nouvelle connotation négative.

De nos jours, témoins de cet héritage en dents de scie, des expressions négatives restent présentes dans la langue française : « avoir le teint jaune », « rire jaune »… Couleur du mensonge et de la trahison, le jaune évoque heureusement aussi l’énergie, le soleil et la gaieté.

En Asie, le jaune a longtemps été la couleur réservée à l’Empereur, c’est pourquoi il symbolise le pouvoir, la richesse et la sagesse.

Le jaune, dans ses tons miel et ocre, est personnellement l’une de mes couleurs préférées !

Le noir

Négation de la lumière, représentant les ténèbres, la nuit et l’obscurité, le noir est très ambivalent : il symbolise aussi bien le deuil et l’austérité que le luxe et l’élégance.

Historiquement, toutes les figures d’autorité étaient vêtues de noir : juges, magistrats, ecclésiastiques, pompiers, policiers, arbitres… A présent, certaines de ces tenues ont vu le bleu nuit remplacer le noir.

En Occident, le noir est la couleur par excellence du deuil car ce dernier est conçu comme un retour à la terre nourricière (alors qu’en Orient, le mourant étant sensé rejoindre la lumière divine, c’est le blanc qui l’honore). Une expression très négative illustre cette perception : « broyer du noir ». En Orient, le noir est la couleur de la fécondité et de la fertilité (couleur du limon favorable aux cultures en bord de Nil).

Le rouge

Dans le courant de l’Antiquité, porter du rouge est synonyme de pouvoir. C’est la couleur qui habille les centurions et les prêtres et que l’on attribue à Mars, le dieu de la guerre. Traditionnellement, les robes de mariées étaient rouges et évoquaient quant à elles la fête, le luxe et le spectacle. Au XIVe siècle, le rouge commence à être perçu comme immoral (représentation du péché de chair) et laisse sa place au blanc (pureté).

De nos jours, le rouge continue de renvoyer au pouvoir et à la lutte (cf marxisme, communisme, socialisme…) et à l’action. Saviez-vous par exemple que le rouge dans les drapeaux évoque la lutte des peuples et la révolution ? Si la signification des drapeaux vous intéresse, jetez un œil à la vidéo « point culture » de LinkstheSun (et à ses autres vidéos au passage).

Le rouge est également considéré comme une couleur forte, source de motivation et d’énergie... C’est LA couleur utilisée pour signaler le danger, car la plus eye-catchy. Paradoxalement, elle symbolise la colère (on dit « voir rouge ») mais aussi l’amour et le romantisme (pensez à la rose rouge tant vendue en période de Saint-Valentin), même si la couleur des mariées reste majoritairement le blanc. 

Fait intéressant, un japonais distingue mieux les nuances de rouge (et de blanc), ce qui explique la richesse du vocabulaire nippon à ce sujet. Pour l’Orient, le rouge symbolise plutôt la chance (d’où, peut-être, les ornements rouges qui décorent souvent les quartiers chinois).

Le vert

Cette fois, ce sont les Grecs qui n’avaient pas de mot pour décrire la couleur verte ! En Égypte, c’était la couleur de la fertilité, de l’épanouissement et de la vigueur. Au XVIIe siècle en Europe, porter du vert est considéré comme excentrique. Un siècle plus tard,  cela devient une couleur ennuyeuse. Quelle que soit la façon dont il était perçu, c’était surtout un défi réel pour les teinturiers de l’époque : le vert était en effet difficile à stabiliser (il s’usait davantage à la lumière, d’ailleurs ça a longtemps été la première couleur à s’effacer des photos).

Cette instabilité lui a conféré de renvoyer à des notions tout aussi instables : le hasard (tapis vert des casinos), le destin, la chance (trèfle) comme la malchance. Le vert renvoie également à des aspects surnaturels (démons, diable, martiens, elfes…). Une des superstitions théâtrales en interdit l’usage sur scène (peut-être à cause de l’empoisonnement de certains comédiens qui portaient des vêtements teintés avec des pigments comportant des substances toxiques, au Moyen-Âge). Les personnages joués étaient souvent des personnages jaloux ou médiocres (« être vert de jalousie »).

Il communique aussi des valeurs liées à la nature (« avoir la main verte ») et à la propreté (peut-être héritées de l’islam primitif) ainsi que des sentiments de sécurité, d’harmonie, de fraîcheur, de santé (blouses du corps médical, logo des pharmacies) et d’espoir

En Chine, le vert représente la force, l’immortalité et le féminin.

Le blanc

Le blanc est représenté historiquement par une absence de pigments sur le bois, le lin, le parchemin puis le papier. C’est donc tout naturellement que son utilisation évoque l’absence, comme en témoignent les expressions suivantes : nuit blanche (absence de sommeil), page blanche (absence d’inspiration), chèque en blanc (absence de fonds), balle à blanc (absence de véritable balle)…

La notion d’absence s’élargit aussi au sens de pureté, d’innocence (absence de faute commise, absence de tâches : « être blanc comme neige »), ce qui fait du blanc la couleur idéale pour représenter les vierges, les anges, les mariées, les jeunes religieux… Couleur de la paix (« agiter le drapeau blanc en guise de reddition ») et de la liberté, le blanc évoque aussi la simplicité (que l’on retrouve en grande proportion dans les intérieurs minimalistes).

En Asie, c’est une couleur perçue à l’opposé de l’occident, puisqu’elle est la couleur du deuil (linceul) et de la mort.

symbolique couleurs

Autres couleurs

Le rose

Cette couleur n’a pas eu d’existence définie pendant longtemps. On disait simplement « incarnat » pour définir la couleur de la chair humaine. Le rose est né et a acquis sa symbolique de tendresse et romantisme au XVIIIe siècle. Il évoque la fantaisie (imaginaire), la féminité, la douceur, le printemps, l’univers enfantin, le romantisme et le confort.

Il n’a pas toujours évoqué la féminité, puisqu’au contraire au Moyen-Âge (avant que la Marquise de Pompadour n’en fasse porter à toutes les filles de son entourage), le rose était considéré comme une couleur forte et virile et couvrait même les mollets des chevaliers. Le stéréotype rose = « pour les filles » prend sa source et sa force dans les années 50 et 60 à travers des icônes comme Marilyn Monroe ou Brigitte Bardot. Aujourd’hui, ce cliché résiste mais a été récupéré par les féministes et les millenials : sous une teinte plus neutre, un peu vintage et douce, le rose esthétise par exemple un film comme The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson (un petit bijou que je conseille chaudement !).

L’orange

La notion de couleur orange est apparue au XIVe siècle avec l’importation en Europe des premiers orangers. Il évoque l’encouragement, la vitalité, le coucher du soleil, l’opportunisme, voire l’ambition et l’orgueil, ainsi que l’optimisme, l’autonomie, la gaieté et la fête.

Le violet

Le violet est apparemment la couleur la plus détestée après le brun. Elle évoque un statut élevé (clergé, noblesse et royauté), le rêve, l’inspiration et la créativité, l’équilibre (car mélange de rouge -couleur chaude- et de bleu -couleur froide-), ainsi que la spiritualité, le mystère, le mysticisme et l’ésotérisme.

Le marron

Le mot marron est apparu au XVIIIe siècle et est dérivé de la chataigne (un brun plus chaud). Il s’agit d’une couleur plutôt naturelle, évoque forcément la terre et la nature, ainsi que la fiabilité, la stabilité et la force. De manière plus négative, on peut lui attribuer des évocations de mélancolie, de vieillesse, de pauvreté voire de saleté.

Le marron symbolise aussi les souvenirs et la nostalgie (peut-être en raison de la teinte sépia des vieilles photographies et de la couleur que prend une feuille de papier lorsqu’elle vieillit) ? Rappelez-vous : le logo originel d’Instagram, avant de subir un rebranding coloré, était marron… C’était l’époque où l’intérêt principal du réseau reposait sur des photos au format uniquement carré (cher aux rolleiflex et polaroïds d’antan) et sur l’utilisation de filtres vintage (sensés reproduire le développement en chambre noire ou les effets lomographiques d’appareils inconiques comme les Diana 35).

Le gris

Historiquement, le gris évoque la maturité, la sagesse, le respect et la connaissance (en rapport avec les cheveux gris des anciens, dont le savoir et l’expérience étaient considérés comme précieux). Couleur neutre au possible, le gris évoque aussi la volonté de ne pas attirer l’attention, l’invisibilité et la tranquillité, voire, pour ses pendants plus négatifs : le manque d’énergie, la tristesse et la vieillesse. Le mot « gris » vient du germanique « grau ».

Exemples de domaines d’application de la symbolique des couleurs

La chromathérapie

La chromathérapie est une médecine alternative qui consiste à projeter des lumières colorées sur le corps (entier ou par zones). Il faut savoir que cette pratique n’est absolument pas considérée comme une science et qu’aucune étude ne vient confirmer les énoncés ci-dessous (d’où l’emploi du conditionnel).

Je cite simplement ici cette approche pour l’intérêt qu’elle porte aux couleurs et à leur symbolique, à vous de vous faire votre propre idée. Personnellement il y a peut-être 2 ou 3 points que je trouve cohérents d’un point de vue « action sur le mental », mais je considèrerais alors leurs bienfaits dans les couleurs contemplées au quotidien dans mon environnement et me fierais plutôt à une médecine alternative faisant appel aux plantes pour calmer les troubles physiques. Mais encore une fois, libre à chacun de ce faire ce qu’il lui plaît.

  • Le vert est considéré comme régénérant (reconstruction des cellules) et reposant, notamment pour les yeux.  Ce serait la raison pour laquelle les tableaux noirs dans les salles de classe ont été remplacés par des tableaux verts (au temps de la craie). Un environnement naturel vert (campagne) permettrait de diminuer la fatigue (ça, je veux bien le croire).
  • Le bleu clair / pastel ferait baisser la température corporelle. Il aurait par contre une influence négative sur l’appétit.
  • Le bleu turquoise calmerait les inflammations et infections et faciliterait la concentration.
  • Le jaune favoriserait la créativité (comme le violet). Il stimulerait aussi la production de sérotonine et améliorerait donc le moral.
  • L’orange augmenterait l’appétit et la créativité tout en renforçant le système immunitaire.
  • Le violet renforcerait le système nerveux.
  • Le blanc favoriserait le bien-être et la relaxation. Un intérieur blanc invite, il est vrai, tout naturellement au repos (voir les intérieurs minimalistes, les murs des hôpitaux….).
  • Le rouge permettrait de lutter contre les agressions (rhumes) et contre l’hypotension. Il renforcerait également les chances de succès en boostant l’estime de soi.

Le marketing

80% de la reconnaissance d’une marque se fait grâce à la perception de la couleur et du symbolisme (parfois inconscient) auquel elle renvoie à travers son logo et sa charte graphique. Les couleurs ont donc une importance capitale pour les marques puisqu’elles leurs permettent de véhiculer subtilement certains messages. En voici 3 exemples.

Le noir étant une couleur symbolique de prestige et d’excellence, il est beaucoup choisi en marketing pour communiquer sur des valeurs de qualité, de raffinement et de dignité. Il est donc logique que de nombreuses marques de luxe y fassent appel à travers leur branding (par exemple Dior, Chanel…), de même que des marques plus accessibles qui veulent se distinguer par la qualité de leurs produits (Jimmy Fairly, Sézane, Sessun…) ou donner l’impression de qualité (même si les produits ne suivent pas – toujours dans la mode, je pense à Zara, Mango…).

Le bleu étant la couleur la plus aimée dans le monde, on la trouve naturellement sur de nombreux logos. Pour autant, le bleu devient particulièrement présent lorsqu’il s’agit de communiquer un effet bienveillant ou de rassurer (sentiment de sécurité). Pensez au nombre d’entreprises du web ayant choisi (dans différentes teintes) cette couleur : Facebook, Twitter, Skype, Dropbox, Onedrive, Edge (le navigateur Microsoft), Paypal, LinkedIn… On remarquera qu’un intérêt commun à toutes ces entreprises est de souhaiter rassurer le consommateur sur l’utilisation de ses données personnelles… De même, de nombreuses banques & assurances (notamment aux USA) ont du bleu dans leur logo. 

Le rouge étant connu pour augmenter le rythme cardiaque et provoquer un sentiment d’urgence, le marketing y a souvent recours pour susciter l’achat compulsif chez le consommateur. De nombreuses marques dans le secteur agro-alimentaire (pas forcément très saines, donc ayant un intérêt à ce que le consommateur ne réfléchisse pas trop avant l’achat) en ont garni leur logo : Coca-Cola, Mc Donalds, Lay’s, Fritolay, Redbull, Heinz, Kellogg’s…

Cette couleur est utilisée aussi naturellement pour attirer l’attention sur la marque : YouTube et Pinterest (différenciation par rapport aux autres réseaux sociaux ?), Target, CVS et H&M (attraction pour leurs bas prix), Nintendo et Lego (attirer l’œil des enfants)…

L’art et le design

Évidemment, on retrouve la symbolique des couleurs (et surtout l’utilisation de ces dernières de manière plus brute) en matière d’art et de design, mais cela fera l’objet d’un article dédié (celui-ci étant déjà bien long) !

J’y aborderai notamment plus en profondeur l’apport de la couleur quand on aborde la notion d’identité visuelle (déjà un peu évoquée par le passé) et mon propre rapport à l’utilisation de la couleur dans mes différents projets.


Bibliographie intéressante

  • Michel Pastoureau – Bleu : Histoire d’une Couleur (Editions Seuil, 2000) ;
  • Michel Pastoureau – Noir : Histoire d’une Couleur (Editions Seuil, 2008)
  • Michel Pastoureau – Vert : Histoire d’une Couleur (Editions Seuil, 2013)
  • Michel Pastoureau – Rouge : Histoire d’une Couleur (Editions Seuil, 2016)
  • Michel Pastoureau – Jaune : Histoire d’une Couleur (Editions Seuil, 2019)
  • BMI Guéret : Les Couleurs
  • Historique & symbolique des couleurs
  • Sachiko Umoto : Illustration school: let’s draw magical color
  • Conférence Tedx : L’étonnant pouvoir des couleurs
  • Palibre.be : L’histoire du rose, la&& couleur qui s’impose

 


Et si vous vous intéressez aux couleurs, peut-être aurez-vous envie d’y porter une attention particulière à travers vos photographies, grâce à mes presets Lightroom ?

A propos

Hello et bienvenue ! Je suis Fanny, photographe de 33 ans. J'adore planifier un voyage et découvrir de nouveaux lieux et cultures, immortaliser les beaux instants avec mon appareil photo, boire du thé, occuper mes dix doigts à quelque chose de créatif… Originaire de Charente-Maritime, j'ai vécu dans différentes villes en France et à l'étranger (Espagne et Etats-Unis) depuis ma majorité. J'ai emménagé en août 2020 à Montpellier.

6 Commentaires

  • Chloé D
    6 février 2020 at 0 h 59 min

    Merci, très intéressant 🙂

    Répondre
  • Audrey
    6 février 2020 at 17 h 40 min

    Coucou Fanny
    Merci pour cet article vraiment très intéressant !
    Des bisous
    Audrey

    Répondre
  • L&T
    13 février 2020 at 8 h 05 min

    J’adore ce genre d’article. Merci beaucoup, j’ai appris plein de choses. Je file lire les deux précédents (et j’ai hâte de découvrir le suivant!)

    Répondre
    • parenthesecitron
      13 février 2020 at 18 h 12 min

      Merci ! J’en ai appris beaucoup aussi lorsque j’ai commencé à le préparer (lui et les tomes précédents d’ailleurs, il y a un an). Il se passera sûrement encore quelques semaines avant le prochain, patience 🙂

      Répondre

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