La photographie est sujette à interprétation, c’est pourquoi elle n’évoquera pas la même chose d’une personne à l’autre. Elle représente la vision et la perception du monde par son auteur, selon sa sensibilité. C’est l’émotion (parfois différente de celle ressentie par l’auteur au moment de la prise de vue) qu’elle peut susciter chez une personne qui s’inscrit dans un univers et un quotidien différents, qui va la rendre poétique.
Robert Adams, un photographe américain célèbre pour ses paysages en noir et blanc, a dit lors d’une interview :
L’art sert à se réapproprier la vie.
Photographier le quotidien
On peut en effet capturer le monde tel qu’on le voit (ou croit) réel, mais on peut aussi amener à la rêverie en suggérant quelque chose à travers nos photos, et en racontant une histoire. On peut partager ce que l’on trouve beau à titre personnel, ce qui nous émeut et nous fait vibrer, partager ce qui retient notre attention : ce quotidien-là, passé par le prisme du photographe, devient forcément stylisé (j’en reparlerai en partie 2). De fait, il peut entrer en résonnance ou non avec les personnes observant son travail, et c’est ça qui est chouette, il me semble : créer identification ou rejet (l’un ou l’autre valant 1000 fois mieux qu’un regard indifférent).
La photographie du quotidien couvre en réalité différents sous-genres photographiques (c’est sûrement ce qui la rend si riche et intéressante), parmi lesquels :
- la photo de paysage
- la photo culinaire
- les portraits de proches (photo sociale) ou d’anonymes (photo de rue)
- la photo de nature, macro ou non (à savoir que la photo macro donne à voir le monde à travers une échelle différente, ce qui lui confère une fort potentiel poétique)
- la photo de nuit…
Rendre une photo poétique
Ne pas s’attacher à « rendre la réalité »
Comme je l’ai évoqué en introduction, le regard d’un photographe lui est propre, si bien que la vision du monde qu’il a au moment de réaliser sa photo devient SA réalité. Cette réalité peut parfois trouver un écho chez d’autres personnes, qu’elle fasse appel ou non aux mêmes sentiments, mais pas toujours.
Chaque photo est le résultat d’un ensemble de choix (plus ou moins effectués consciemment) tels que le cadrage et l’angle, la profondeur de champ et la focale choisis pour la composition, de même que le post-traitement adopté par la suite. À partir du moment où elle est prise dans une démarche artistique et esthétique, la photo vient styliser la réalité. Styliser ne veut pas forcément dire sublimer, mais l’aiguiller quelque peu en fonction de la sensibilité et de l’histoire que souhaite raconter la personne qui en est à l’origine. Le simple fait de cadrer revient à orienter la réalité, cela revient en quelque sorte à choisir un passage d’un livre entier (le livre représentant l’ensemble de la scène).
Voir autrement
Si la réalité peut être si vite « déformée » par le regard du photographe, elle n’en devient pas pour autant poétique.
Une photographie dite « poétique » est plutôt une sorte de témoignage d’un moment simple de la vie, idéal ou idéalisé. Révéler la poésie du quotidien requiert une forte capacité à s’émerveiller de tout et de rien, un œil rodé à détecter les moindres fragilités et beautés qui nous entourent, ainsi qu’un doux combo d’innocence et de naïveté (comme propre aux enfants). Savoir tirer le meilleur parti de la lumière, comprendre comment elle influe sur les sujets, comment elle peut sublimer ou au contraire dramatiser une scène, est également essentiel.
Susciter une émotion
Une photo poétique du quotidien vient susciter une émotion chez celui/celle qui l’observe, quelle qu’elle soit : bonheur, tristesse, étonnement, mélancolie, nostalgie, inquiétude, peur, solitude, réconfort, curiosité, harmonie, crainte ou peur, optimisme, apaisement…
Apporter une attention particulière à la composition
Pour capturer la poésie du quotidien qui nous entoure, réfléchir à la prise de vue est primordial : angle, cadrage, jeu des couleurs… Toute la palette technique et créative du photographe est mise à l’épreuve !
L’interventionnisme est parfois mal vu en photographie, mais photographier le quotidien ne doit pourtant pas obligatoirement se faire de manière « documentaire » : libre au photographe de déplacer des objets s’il juge que cela renforce son intention photographique. Après tout, pourquoi cette démarche serait-elle pire que de se déplacer pour que le nouvel angle trouvé permette de laisser en-dehors du cadre un élément gênant ?
Quelques astuces personnelles
Dans ma propre pratique, j’ai tendance à privilégier une faible profondeur de champ (je travaille avec des optiques très lumineuses) : obtenir un joli flou de premier plan ou d’arrière-plan rend à mon sens une photo plus douce et plus évocatrice (et davantage féérique également en présence de bokeh lumineux).
Par ailleurs, je n’hésite pas à déplacer des objets ou à les réagencer si je sens que cela va dans le sens de ce que je souhaite transmettre à travers ma photo. À défaut, en pleine nature par exemple, je me déplace jusqu’à obtenir l’angle qui convienne parfaitement à la photo que j’ai en tête. Très rarement pour ce genre de photographie, mais c’est arrivé, j’ai été amenée à supprimer en post-traitement un élément disgracieux, car pour moi, le rendu fini d’une jolie photo prime sur « l’authenticité » (comme je le précisais ci-dessus, à partir du moment où mes autres choix de prise de vue orientent la photo, la réalité de toute façon est devenue déjà mienne et non plurielle).
Enfin, j’opte par ailleurs pour une colorimétrie soignée, par le passé assez pastel, à présent davantage contrastée (mais toujours avec certaines couleurs désaturées et un rendu global chaleureux). Continuer à mettre en valeur la lumière en post-traitement me paraît important, et j’aime par ailleurs obtenir une cohérence graphique entre mes différentes photos.
Titiller sa créativité pour aller plus loin
Évoquer le rêve/la féérie
Rendre une photo poétique peut se faire jusqu’à l’extrême, en évoquant ouvertement le rêve et la féérie. Pour cela, plusieurs démarches sont possibles.
L’une d’entre elles est d’utiliser quelques accessoires pour renforcer certains effets à connotation poétique comme les bokeh lumineux par exemple (guirlande lumineuse, bougies, cierge étincelant) ou un arrière-plan fondu et orignal (fumigène), qui viendront renforcer l’aspect poétique global de l’image en le faisant flirter en quelque sorte avec la magie et l’ésotérisme (pourquoi pas).
Une autre option est d’opter délibérément pour la photo surréaliste, en transformant une photo du quotidien en véritable tableau nourrissant l’imaginaire de chacun(e). C’est un parti que je n’ai jamais pris encore (et que je ne suis pas sûre de prendre), mais que j’admire chez d’autres.
Trouver l’inspiration à partir d’ambiances
- dans les films/séries : par exemple, photographier le quotidien en veillant à porter une attention particulière aux couleurs pastel et à la symétrie, ou en privilégiant la plongée/contre-plongée à la manière de Wes Anderson, ou encore en chassant dans ce qui nous entoure le fameux dualisme chromatique complémentaire vert/rouge cher à Jean-Pierre Jeunet dans le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain….
- dans l’art : à partir d’un tableau ou d’une expo, par exemple travailler le clair/osbcur à la manière de Rembrandt ou Caravage…
Se lancer des défis
Une pratique intéressante pour aller plus loin dans sa manière de photographier le quotidien sous un angle poétique, peut être d’y associer en plus un petit défi : se donner par exemple un nombre précis de photo (l’équivalent d’une pellicule argentique) et un laps de temps court (4h ou bien une journée) pour réaliser une série sur un ou plusieurs éléments du quotidien. Si vous cherchez des idées autour de ce concept, n’hésitez pas à consulter mon article traitant de la création d’une série photo.
Et si vous vous êtes intéressés par d’autres idées pour développer votre pratique de la photo du quotidien et éventuellement la rendre plus poétique, je vous conseille de jeter un œil à mon atelier conçu pour booster votre créativité en photographie.
En somme, photographier la poésie du quotidien n’est pas si compliqué : faire ses choix habituels de photographe lorsqu’on est ému/émerveillé/touché par quelque chose (ou quelqu’un), s’affranchir de la nécessité de reproduire fidèlement ce que l’on voit puisque c’est une notion flouée dès le départ, réfléchir aux possibilités d’améliorer encore la scène observée si c’est possible, veiller à soigner au maximum la composition et le post-traitement pour rendre son image plus belle et cohérente avec son ressenti, et espérer enfin qu’elle déclenche une émotion (la même ou une autre) chez les personnes qui l’observeront !
J’espère que cet article vous aura plu : si c’est le cas, n’hésitez pas à me le dire dans les commentaires, c’est toujours très motivant pour moi de vous lire !
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