Comme beaucoup récemment, j’ai regardé le reportage de Cash Investigation sur la surconsommation de plastique sur Terre, de sa production à son impossible élimination, en passant par quelques tentatives (plus ou moins sincères) de remise en circulation.
Si j’apprécie beaucoup les reportages des équipes d’Elise Lucet (moins sa façon d’interviewer), j’avoue avoir été assez dubitative suite à celui-ci. Peut-être parce que pour une (rare) fois, on me propose comme sujet la prolifération du plastique et ses ravages qui est un problème dont j’ai conscience depuis un bon moment… J’attendais autre chose, ou plutôt, j’attendais davantage. Si le reportage est encore une fois très bien fait, agréable à visionner (si tant est que des montagnes de plastique puissent être quelque chose de plaisant à observer !), le fond de l’émission m’a laissé un arrière-goût de trop peu, de survol, voire d’à-côté.
Je vous explique dans cet article, mais pour ceux qui souhaiteraient voir le reportage d’abord, le voici.
Très sincèrement, je loue et remercie les équipes d’avoir abordé un tel sujet à une heure de grande écoute, nul doute qu’on a besoin aujourd’hui (vu l’état de la planète…) d’une prise de conscience plus massive, que de nouvelles voix se fassent entendre et que de nouvelles mains se lèvent contre cette pollution infecte et extrêmement nocive dont nous sommes tous responsables (quelle qu’en soit l’échelle).
Cependant, deux points me gênent dans ce reportage.
1. La responsabilisation unique de l’industriel
S’il est clair que les industries sont à l’origine-même de cette pollution massive, à travers les contenants qu’elles fabriquent, je trouve extrêmement dommage de minimiser de la sorte la place et le rôle que jouent les individus. Malgré l’aversion (assez profonde) que j’ai développée pour les enseignes citées et leur mode de fonctionnement, je ne peux pas m’empêcher d’être à moitié d’accord quand elles disent que le problème vient de ce que les gens jettent n’importe où leurs déchets, et ainsi être titillée quand j’entends l’équipe de Cash déresponsabiliser à ce point l’individu. Il y a à mon sens une part de responsabilité de chaque côté.
En effet, on trouverait bien moins de détritus dans la nature s’il y avait moins de gens pour les abandonner là après un pique-nique, un après-midi à la mer, une balade en forêt etc. Si le respect de la nature avait un sens pour l’humanité, on n’en serait pas là. Apprendre à jeter DANS UNE POUBELLE (et non par terre !), à trier et à recycler devrait être le b-a-ba de tout individu (et je remercie mes parents de me l’avoir inculqué très tôt). Il y a clairement des endroits sur Terre où ce n’est pas acquis (Marseille m’en avait laissé un souvenir gênant) et nombre d’attitudes à proscrire (les automobilistes qui jettent leurs déchets par la fenêtre, sérieusement ?), jusqu’aux nombreux mégots de cigarette par terre (dont on découvre petit à petit les ravages sur la qualité de l’eau puisqu’ils finissent dans les égouts et les rivières…).
Laisser entrer dans certains cerveaux nonchalants et sans-gêne l’idée que c’est l’industriel le problème, est, il me semble, un grand danger ! Comment inciter l’individu à se remettre en question si on le dédouane sans arrêt ? Comment, également, donner envie à certains consommateurs de changer leurs (mauvaises) habitudes si on les décourage dès le départ en leur montrant que nombre de leurs efforts peuvent être anéantis par le pouvoir des lobbyistes ? En réalité, sur ce dernier point je ne jette pas vraiment la pierre à Cash Investigation, mais disons que j’ai davantage le sentiment que ce soit contre-productif plutôt qu’éclairant, sauf pour les plus courageux qui auront envie de lutter contre le problème sur plusieurs fronts (personnels, collectifs – ONG…).
Suite à ce constat alarmant, je trouve que c’est là que la responsabilité des industriels intervient. Continuer à produire toujours davantage d’emballages jetables en plastique (ou autre matériau polluant et nocif – on pourrait parler aussi de l’aluminium !) dans l’état actuel de la planète et après des décennies de recul quant à la finalement faible responsabilisation individuelle, c’est de l’inconscience et de l’assassinat (d’écosystèmes mais pas que). Surtout que dans certains cas, la production massive de plastique s’est faite au détriment d’une solution écologique qui avait fait ses preuves : la consigne (ce fameux système de contenant que l’on paie à l’achat et que l’on peut rapporter contre remboursement). On note bien aussi que nombre de « stratégies » de grandes marques sont (mais est-ce une surprise ?) bien plus commerciales que conscientisées (on appelle ça du greenwashing, j’en avais déjà parlé sur ce blog à propos de la mode).
C’est un sujet extrêmement alarmant, notamment quand on réfléchit aux points ci-dessous.
- L’état critique des océans : il est prévu qu’en 2030 la quantité de plastique y dépasse celle des poissons (cette matière est tout simplement increvable : elle se contente de se décomposer en éléments de plus en plus petits, que l’on retrouve à nano-échelle comme contaminants dans l’air, l’eau, le sel, les poissons…).
- La nocivité du plastique pour l’environnement et l’être humain : la matière plastique, ce n’est finalement que le résultat d’un mélange de divers éléments chimiques pas toujours très safe pour l’être humain, tout comme pour la faune et la flore.
- La méfiance de mise envers le plastique recyclé : ce dernier provient de plastiques à différents usages, et certains plastiques (utilisés dans des appareils électro-ménagers principalement) contiennent des substances anti-feu très nocives (dont le brome) pouvant se retrouver après recyclage et nouvelle production dans des jouets pour enfants… Choupi, n’est-ce pas ? Et ce n’est d’ailleurs pas forcément que l’apanage du plastique recyclé : que contiennent vraiment les outils ou ustensiles en plastique qui vous entourent, et qui sont même parfois (voire souvent) en contact avec votre nourriture ? Cuillers en silicone, revêtements en teflon…
- Le danger du plastique biodégradable ou soi-disant « écologique » : bon concept sur le papier, il devient moins intéressant lorsqu’on sait qu’il incite à consommer toujours autant de plastique au lieu de revoir nos habitudes, d’autant que ce plastique-là est loin d’être aussi révolutionnaire qu’on veut bien nous le vendre. Créé (en partie seulement) à partir de « plastique végétal » (souvent à hauteur de 25%), il n’est pas davantage recyclable et pas moins toxique que le plastique « habituel ». Il ne constitue donc pas moins un problème énorme d’un point de vue sanitaire et environnemental… Quant aux bouteilles opaques PET (du type de certaines « nouvelles » bouteilles de lait), on en parle ? Saviez-vous qu’elles sont en fait très peu recyclées et donc pas du tout écologiques, contrairement aux slogans marketing des industriels ? Cela tient au fait qu’elles obligent les chaînes de recyclage à les laisser de côté à cause de la présence de dioxyde de titane (nécessaire à cette opacité) qui a l’inconvénient de fragiliser le plastique final. Le « plastique biodégradable » est par conséquent l’exemple-type d’une fausse solution !
En tant qu’individu, nous avons un grand pouvoir (si si !). Si j’ai du mal à croire aujourd’hui qu’un bulletin de vote puisse réellement changer les choses (mais ça n’engage que moi), je suis en revanche convaincue que notre carte bancaire est un allié très puissant dans la lutte contre le plastique. Comme le disait un célèbre humoriste : il suffirait que l’on n’achète pas pour que cela ne se vende plus…
On en vient au point 2.
2. Proposer de réelles alternatives au plastique
J’aurais aimé qu’après avoir dressé un tel tableau et alarmé (légitimement) les consciences, l’émission de Cash Investigation propose des solutions concrètes aux spectateurs pour se débarrasser du plastique au quotidien. Malheureusement, le reportage en tant que tel n’aborde pas le sujet, et le « débat » post-reportage entre Elise Lucet et deux invitées n’amène comme solution que le « boycott du plastique« . Très bonne idée, mais pour quels matériaux, et comment, concrètement ?
Je trouve dommage que l’émission n’ait pas consacré ne serait-ce que 5 minutes à la réponse à cette question, que sûrement beaucoup de Français (francophones même, au sens large) se sont posé ou se poseront suite au visionnage. « Le plastique c’est mal », ça pollue, il faut arrêter d’en consommer, très bien : mais que propose-t-on ? Au-delà de l’attente de nouvelles lois et décrets visant à encadrer sa production (belle idée mais quand on voit le poids des lobbies, largement évoqué d’ailleurs au cours du reportage, on est en droit de se demander si ça va aller assez vite dans la bonne direction, et surtout, assez loin ?) : que faire ?
Si cette émission a éveillé en vous l’envie de changer les choses, je vous propose quelques pistes pour vous aider à minimiser grandement la présence de plastique dans votre quotidien. Le supprimer totalement est compliqué voire utopique, tant certains éléments (notamment d’électroménager, d’électronique et informatique) y font appel. En revanche, repenser sa consommation globale de plastique et la réduire fortement (à travers de nombreux objets et gestes quotidiens) est vraiment possible tant il a envahi notre société en quelques décennies. De nombreux objets (bien plus que nous le pensons) existent en fait dans un matériau alternatif beaucoup plus respectueux (et souvent plus noble et donc plus esthétique, ce qui ne gâche rien).
Remplacer le plastique
- par du verre : pour les contenants tels que les bouteilles, les boîtes isothermes, les verres, les saladiers, les vases…
- par du bambou : pour les gobelets réutilisables, les ustensiles (cuillers, pinces, spatules…), les boîtes, les cotons-tiges (opter pour un oriculi, voir liens ci-dessous)…
- par d’autres types de bois (FSC, c’est mieux) : pour les étagères et les meubles, les boîtes, les ustensiles (cuillers, pinces, spatules…), les couverts, les brosses et peignes…
- par de l’inox : pour les ustensiles (ciseaux, spatules, boules à thés…), les bols et saladiers mais aussi les casseroles et les poêles (l’aluminium étant toxique), les couverts, les bouilloires et cafetières…
- par de la céramique / poterie : pour les bols, les assiettes, les saladiers, les théières, les pots de fleurs…
- par du tissu (coton bio / recyclé, du chanvre, du lin)… : pour les sacs de courses et sachets que l’on utilise pour les fruits et légumes, pour recouvrir des bols d’aliments ou emballer des gâteaux / sandwiches etc. (pensez au Bee’s wrap, largement réutilisable !)
- par du carton / papier (FSC) : certaines poubelles (pour le recyclage notamment), sacs de courses (à réutiliser si non-abîmé)
Pour des exemples concrets, consultez cet article très complet d’Aline (du blog Consommons Sainement) pour utiliser moins de plastique, ainsi que son livre Zero plastique, zero toxique.
Trier le plastique
Il n’est pas toujours facile de savoir si tel ou tel plastique est recyclable, et le petit point vert présent sur les emballages ne signifie en rien que c’est le cas (seulement que l’enseigne en question a payé une redevance à Eco-Emballages). C’est la même chose en ce qui concerne le symbole de Möbius (qui indique que oui, techniquement l’emballage est recyclable, mais pas qu’il l’a été par le passé ou qu’il le sera concrètement une fois sur la chaîne de recyclage). Un rappel de ces divers logos (ainsi que d’autres similaires) et de leur signification est disponible ici.
En cas de doute sur la recyclabilité d’un produit en plastique en votre possession et/ou sur les normes en vigueur en fonction de votre ville, n’hésitez pas à consulter ce guide du tri.
Pour aller plus loin sur la question environnementale, découvrez mes articles sur les écogestes quotidiens (volume 1 et volume 2) faciles à mettre en place pour polluer moins, ainsi que le site de Zero Waste France.
Et vous, avez-vous ce reportage ? Qu’en avez-vous pensé ?
8 Commentaires
Marion
23 septembre 2018 at 5 h 01 minCoucou Fanny ! Alors là, un grand merci pour ton article ! Je partage tout à fait ton point de vue et je trouve aussi que les consommateurs n’ont pas toujours le meilleur comportement. En travaillant en grande distribution, j’ai été choquée de tous les fruits, légumes, poissons et j’en passe que l’on jette chaque jour, alors qu’ils sont encore bons à consommer. Quand j’ai demandé pourquoi on les jette plutôt que de les proposer à bas prix par exemple, on m’a répondu (approximativement) ceci : « c’est compliqué car nous devons respecter des normes très strictes. Et puis surtout, c’est parce que personne n’en veut qu’on les jette ».
Un fruit un peu moche, on le jette parce que de toute façon il ne sera pas choisi. Mais qu’est-ce que ça fait au fond qu’il soit moche ? Finalement, les comportements des entreprises font parfois aussi écho au comportement des consommateurs. Tout le monde choisit le paquet du fond pour avoir la date d’expiration la plus longue. C’est humain, je comprends, on n’a pas envie de passer sa vie à faire des courses tous les deux jours, ou à prendre le risque de jeter chez soi un produit qui périme rapidement. Le problème, c’est que même ceux qui consomment rapidement les produits qu’ils achètent ont recours à la tactique du « paquet dans le fond », et résultat on jette encore plein de produits qui auraient pu être consommés.
Merci pour cette prise de conscience, je vais regarder le reportage pour voir de quoi il en retourne ! Gros bisous !
parenthesecitron
23 septembre 2018 at 21 h 09 minMerci Marion ! « Finalement, les comportements des entreprises font parfois aussi écho au comportement des consommateurs. ». Tout est là, je dirais même qu’ils font très souvent écho aux comportements des consommateurs, et donc être beaucoup à changer de comportement peut envoyer un signal fort aux entreprises sur notre volonté d’aller vers autre chose.
Ornella
23 septembre 2018 at 10 h 21 minTrès intéressant ton article. Je n’ai pas vu le reportage mais, j’avoue que les analyses d’Elise Lucet sont toujours tellement orientées que ke ne vois pas d’effort journalistique mais plutôt des tentatives de propagande. Dommage.
parenthesecitron
23 septembre 2018 at 21 h 11 minJe trouve que cela dépend, et de la propagande pour inciter à réduire la consommation de produits (plastique, mais aussi mode, bois etc.) à tort et à travers ne me dérange pas vraiment, personnellement. On ne peut pas dire que ça aille dans le mauvais sens, si ?
Julie / hors du temps
23 septembre 2018 at 21 h 02 minTon article est vraiment intéressant. Comme toi, j’ai regardé le reportage de Cash Investigation, et j’ai moyennement apprécié le fait de nous dé-culpabiliser de tout jeter n’importe comment. Ca part sans doute d’une bonne intention, c’est vrai que nos gestes sont minuscules face aux dégâts des industriels. Cependant, si personne ne commencent, si on attend toujours que le voisin face le premier pas, on ne fera jamais rien…
Et vivement que la consigne refasse son apparition en France !!!
Les émissions de Cash Investigations sont toujours intéressantes, toutefois, j’ai parfois l’impression que la forme l’emporte souvent sur le fond…
parenthesecitron
23 septembre 2018 at 21 h 13 minMerci pour ton retour. C’est vraiment ce qui m’a gênée le plus en effet, cette volonté de montrer que ce n’est pas la faute du consommateur… Comme tu dis, en tant que consommateur on peut montrer l’exemple, et on peut aussi (en étant plus nombreux) faire évoluer la demande, ce n’est pas rien ! Si effectivement on attend que les industriels se bougent, il ne se passera jamais rien, ou tout du moins pas grand chose… 😉
Lili LaRochelle à Bordeaux
25 septembre 2018 at 11 h 59 minHello !
Je n’ai pas vu ce reportage mais j’en ai vu d’autres similaires. Souvent on montre tout ce qu’on trouve dans la mer et sur les plages mais effectivement ce n’est pas spécialement de la faute des industriels, mis à part que ce sont eux qui fabriquent ces plastiques. On retrouve toutes ces bouteilles parce que les gens ne sont pas fichus de les mettre dans des poubelles, bon, après ce pose le problème de la gestion des déchets qui vont effectivement dans les poubelles.
Je trouve mine de rien qu’on a progressé, il y a peut-être 15 ans dans les grandes surface on nous donnait des dizaines de petites poches en plastique toutes fines pour les courses, c’était dingue !
La question qui me taraude c’est comment a t-on pu en arriver là ? La faute au capitalisme ? A nous toujours prêts à acheter moins cher et jetable ?
Je pense que tout ceci est en train de changer et que cette hyperconsommation ne représentera qu’une infime période à l’échelle de l’histoire humaine et que les futurs humains, s’ils ne meurent pas étouffés sous des tonnes de plastique se demanderont bien ce qui nous est passé par la tête…
A bientôt,
Lili
parenthesecitron
26 septembre 2018 at 15 h 38 minOui c’est vrai que beaucoup d’élans aujourd’hui vont dans le bon sens. Je pense que le capitalisme a fait beaucoup de mal en effet, et que cet accès si facile au produit périmable-jetable-rachetable en est une cause. L’augmentation de l’urbanisation aussi, les gens ont un rapport moins évident avec la nature, et pour certains, ressentent moins la nécessité de la protéger. Il y a aussi une question d’éducation et de sensibilisation, et sur ce point j’ose espérer que les générations prochaines auront conscience des erreurs à ne pas / plus commettre. Il y a tellement de moyens faciles (qui ne sont pour certains qu’un retour aux habitudes de nos grands-parents / arrières-grands-parents) d’éviter une telle prolifération de déchets, que je trouve dommage de ne pas se pencher davantage sur la question en conclusion d’un reportage tel que celui-ci. Mais il faut admettre aussi qu’on pourrait en parler des heures sans faire le tour du sujet.